DU BRUIT
(et de fureur)
Conception et mise en scène Hélène Soulié
Adaptation Marine Bachelot Nguyen et Hélène Soulié
D’aprés Du Bruit de Joy Sorman
Création le 6 novembre 2018 au Théâtre de l’archipel – Scène nationale de Perpignan
NTM m’a appris à parler. A parler au reste du monde.
Le rap, c’est l’âge d’or de la parole.
C’est la mise au jour et l’activation de la puissance de la langue,
l’encéphalogramme des mots, le raffinage des mots par le corps.
Et peu importe que certains n’entendent pas.
Je n’entends rien !
C’est normal je parle à ton corps.
CREDIT PHOTO : FRED FOUCHÉ & MARIE CLAUZADE
Années 90.
Avènement du mouvement hip hop en france.
Années 90.
Jacques Chirac déclare: « si on ajoute à ça le bruit et l’odeur… »
Basculement de la vie politique française.
Entrée de propos jusque là réservés à l’extrême droite au cœur de la vie politique française.
Le ver est dans la pomme.
Une réponse à la violence des discours racistes.
Le rap.
NTM.
Porte-voix d’une jeunesse le feu aux joues.
Un corps d’opposition.
Invention d’une langue.
Organique, furieuse, insolente.
Une langue nécessaire.
Qui nous extrait de l’asphyxie brune dans laquelle nous plonge la montée des extrêmes. Qui propose un autre regard sur la société.
Une autre façon d’arpenter le monde.
Une langue qui répare.
Nous répare.
Sur scène.
Une femme seule, derrière les vitres d’un studio d’enregistrement.
Elle raconte.
En direct.
Sa rencontre avec le groupe NTM.
Comment kool shen et joey starr sont arrivés jusqu’à elle.
Alors qu’elle vit dans les quartiers huppés de la capitale.
Elle raconte.
Le premier concert du groupe auquel elle assiste à mantes la jolie.
La déflagration alors ressentie dans son corps.
Petit à petit, traversée par l’histoire du groupe,
des extraits de tubes et le flow de NTM,
la rumeur de la ville qui lui parvient,
les discours affreux ressassés qui perdurent et grondent en back ground, elle trouve son propre souffle,
celui du sang propulsé dans les artères pour irriguer tout le corps.
Elle trouve son propre beat,
celui qui met en mouvement notre corps, notre désir, notre mémoire, notre pensée.
Elle trouve sa propre voix,
et nous invite à dire le réel,
celui qui nous appartient,
celui que l’on voudrait voir advenir,
et à recouvrir le bruit des discours qui séparent.
DISTRIBUTION
Conception, adaptation et mise en scène
Hélène Soulié
Assistante mise en scène
Camille Miou Thibaud
Dramaturgie
Marine Bachelot NGuyen, Hélène Soulié
Avec
Juliette Plumecocq-Mech
puis Claire Engel
Écriture du son, musique
Carole Rieussec assistée d’ Axel Pfirrmann
Scénographie
Emmanuelle Debeusscher
Lumière
Maurice Fouilhé
Vidéo
Maïa Fastinger
Costume
Catherine Sardi
Régie
Eva-Mona Espinosa, David Dubost
Production – Diffusion
Jessica Régnier
assistée de
Pauline Roybon / Les2bureaux
Le texte est édité dans son intégralité aux éditions Gallimard
PRODUCTION
Production
EXIT
Coproduction
L’archipel – Scène nationale de Perpignan, Scène Nationale de Mâcon / Partenaires: Maison du Théâtre d’Amiens, L’agora – Le Crès / Accueil en résidences : Théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier, Le Sillon-Scène Conventionnée de Clermont l’Hérault / Avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Occitanie et la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, de la Ville de Montpellier et de la SPEDIDAM.
La compagnie EXIT est conventionnée par la DRAC Occitanie et la Région Occitanie-Pyrénées-Méditerranée
Pierre Salles, Le Bruit du off – 26 juillet 2019
“ Nul besoin d’aimer le rap ou NTM pour découvrir ce petit diamant, le sujet n’est pas que là, le véritable sujet c’est la poésie, les mots, et le choix que chacun a de vouloir découvrir chez l’autre autre chose que la place sociale où l’on veut le cantonner. Il est question ici de tolérance et d’intelligence dans l’écoute des espérances de l’autre et de ce qu’il peut nous apprendre.”
Walter Géhin, PLUSDEOFF – 19 juillet 2019
“Hélène Soulié, qui met en scène, ne prend pas de gants. L’adjonction de « Et de fureur » au titre n’est pas là pour l’apparat. Claire Engel, seule en scène, sonne la charge dès la première seconde, texte scandé, jusqu’à en perdre le souffle.”
Patrice Elie dit Cosaque – Matin 1ère – France Ô – 11 septembre 2019
“Hélène Soulié aime à traduire une certaine radicalité dans ses mises en scène.
Le matériau brut du rap était sans doute pour elle tout trouvé.
Sur scène donc, Claire Engel adopte elle-même un flow, une manière de décliner ce récit qui n’a rien à envier à celui de NTM. D’un rythme qui paraît mécanique mais pourtant empli de flamme, d’implication et d’incarnation, elle parvient à tout remettre en place : la claque que représentait le genre tout nouveau qu’était ce rap en France, l’âpreté et la dureté de la banlieue, laissée pour compte, étouffée entre réalité sociale et économique désastreuse et surtout, surtout elle ravive à notre mémoire les réactions suscitées dans les rues dans les quar- tiers dits tranquilles jusque dans la classe politique qui s’indignait déjà du nom NTM pour Nique ta Mère, avant même d’écouter ce que les porteurs de cette parole avaient à dire…Un spectacle fort.”
Audrey jean, Théâtre.com – 13 juillet 2019
“ Par sa prestation Claire Engel personnifie l’engagement, l’engagement militant de la pensée, le questionnement sur le politique que nous devrions nourrir au quotidien mais aussi et surtout l’engagement de tout un corps, son corps qui vibre, tangue, se plie tandis qu’elle nous assène ses scansions à l’énergie contagieuse.”
Cécile Strouk, Rue du théâtre – 12 avril 2019
“ Avec une dramaturgie signée Marine Bachelot Nguyen, Du bruit et de fureur raconte l’histoire d’une génération, aujourd’hui trentenaire, quarantenaire, qui a assisté, à travers la voix de NTM, aux prémices de la crise dans laquelle nous sommes aujourd’hui plongés. Du bruit, nous sommes passés à la fureur.”
Contexte
Le 19 juin 1991, Jacques Chirac, alors président du RPR et maire de Paris, fait un discours qui porte sur le recadrage de la politique d’immigration française.
Il le termine par “si vous ajoutez à ça le bruit et l’odeur…”.
Le bruit et l’odeur en question désignaient les désagréments supposément causés par certaines personnes immigrées en France…
L’expression – célèbre pour sa conception raciste – marque un tournant dans la vie politique française : la droite utilise le thème de l’immigration jusque-là chasse gardée de l’extrême droite. C’est “l’intégration” du FN dans la vie politique.
Gaël Faye aujourd’hui, Kery James (Lettre à la république) en 2012, Zebda (album Le bruit et l’odeur) en 1993, de tous temps, les rappeurs dénoncent le racisme, alors que des hommes politiques parlent d’eux comme de barbares descendus sur la ville, de “zoulous” – on entend ici l’horrible résonance colonialiste. On assigne le rap aux banlieues, alors que c’est toute une génération qui se l’approprie, qui se reconnaît dans son flow.
En 1995, NTM – alors meilleur groupe de rap français – dénonce “ceux dérangés par les
odeurs et les bruits” (Plus jamais ça).
Le groupe donne en 1991 un concert mythique à Mantes-la-Jolie. Une association de
quartier l’a invité à jouer ; mais la municipalité est contre. Arrivés au gymnase où ils doivent se produire, Kool Shen et Joeystarr sont à la porte, le gymnase est fermé à clef, la porte blindée. Aucun responsable sur place. Seulement deux cars de police en retrait. Les
spectateurs venus du 91, du 92, 93, 94, 95, 77, 78, affluent. Des centaines de lascars
encapuchonnés, et quelques filles aussi qui dépassent les idées attribuées à ce genre de rassemblement (trop d’embrouilles, c’est chaud !), pour être là. En être. Joeystarr et Kool
Shen s’installent finalement au milieu du stade de rugby qui jouxte le gymnase, et déballent leur matériel. Mais la nuit tombe et le stade ne s’éclaire pas. Personne pour allumer les lumières. Alors, dans un même élan, les fans poussent contre les grillages avec leurs bagnoles, ils roulent sur les grilles, forcent et font céder la clôture lentement. Ils se garent en demi-cercle autour de la scène improvisée et forment la rampe de lumière qui manquait. Le show démarre instantanément sur “le monde de demain”. Un feu de joie et de décibels. Les flics n’ont pas bougé. Ce qui se met en place ce soir-là restera gravé dans la mémoire de tous ceux qui ont vécu ce moment, et même de ceux qui ne l’ont pas vécu et à qui on racontera l’exploit, le dépassement, la transgression – la réponse à l’interdiction d’être là.
Du Bruit
Joy Sorman, autrice française contemporaine, revient dans “Du Bruit” sur cet évènement
marquant. Elle raconte les années 90, l’ampleur que prend le mouvement hip hop en France, telle une réponse à l’hostilité grandissante à l’égard des banlieues. Elle raconte la nécessité de ces gars “de banlieue” à exister. À exister en dehors des images de dealers que l’on projette sur eux. À exister de là où ils sont. A l’écoute de la rumeur des villes, du chant des villes. Leur détermination à être visibles : les tags 93NTM partout dans le métro, dans le RER, les battles de breakdance place du Trocadéro, et les premiers mots posés sur une boucle sonore.
Elle revient aussi sur les accusations d’incitation à la violence du groupe dès que celui-ci
parvient à se faire une place. Sur la difficulté d’accorder droit de cité au rap. On accuse NTM d’encourager la jeunesse à “foutre le feu”. “Johnny a le droit de l’allumer le feu, et les Doors de ” Light my fire ” aussi, mais pour les autres : ceinture. Les poètes d’un côté, les vandales de l’autre.” Le feu de NTM n’est pourtant pas celui qui appelle à brûler les banlieues, mais celui que l’on a aux joues. C’est le feu du désir. Et c’est ce feu là qui effraie, que l’on veut contenir, analyser. Mais le rap est une bête sauvage qui ne se laisse pas récupérer : “Je ne fais pas de politique, je fais du rap.” dira Joey Star.
Le rap, c’est “un son au lance-flamme”, un cri de guerre. Le porte voix d’une jeunesse le feu aux joues. Une jeunesse prête à égorger ses parents pour suivre NTM en concert ! Une jeunesse qui cherche un rythme, une intonation propre comme on cherche sa voix. Un terrain à habiter. Une jeunesse qui va trouver son corps et sa voix là, via l’invention d’une langue.
L’invention d’une langue
“NTM m’a appris à parler. A parler au reste du monde. Dans le rap il n’y a pas de
bégaiement, de balbutiement, d’hésitation, de lapsus et autres imperfections de langage. Le rap, c’est l’âge d’or de la parole. Le flow excède tous les discours, la langue de NTM est sourde aux opinions calibrées. Elle est irrécupérable.”
Joeystarr et Kool Shen ne veulent rien nous dire. Ils signalent. Ils signalent que leur position est radicale, que l’envie d’en découdre, que la rage, que la force sont décuplées. “Le rap, c’est l’élucidation, la mise au jour et l’activation de la puissance de la langue, le démontage du moteur, l’encéphalogramme des mots, le raffinage des mots par le corps.
Et peu importe que certains n’entendent pas. “Je n’entends rien ! – C’est normal je parle à ton corps.“
Le rap de NTM
J’aime le rap. La frontalité du rap. Les mots qui sont là comme le son pour réveiller, pour
nous réveiller. Je les préfère à ceux des histoires petites et tendres et cyniques posées sur
de douces mélodies – cette chape de plomb dont on ne sort pas ! Là où tout est prévisible,
rien n’inquiète. Le rap ne s’arrange pas avec le réel. Le rap fonce dans le tas, rentre “dans le lard de la mélodie”, la met au défi. J’aime l’énergie indomptable du rap, son inscription hors des sentiers battus, dans des expériences esthétiques brutes.
Aimer le rap, c’est aimer une époque. Aimer NTM, c’est être “amoureux de son temps et
furieux contre”.
Kool Shen et Joeystarr sont des chiffonniers de l’ère contemporaine.
Le rap est une écriture du réel. Une écriture du présent. Ce qui est dit importe moins que
comment c’est dit. On ne récite pas un texte, on ne prononce pas un discours, on est en
direct. On improvise au présent.
Le projet
Ce qui est saisissant dans le texte de Joy Sorman, c’est qu’il ne parle pas du rap au sens
stricte (ce qui déclencherait des stéréotypes, des clichés) mais d’un groupe – NTM –
approché par une jeune femme qui n’est pas du même milieu social que le groupe. Et cette rencontre va bouleverser sa vie (ses a priori aussi). Et du coup les nôtres. Elle écrit “qu’est-ce que la musique fait de nous ?”. Joy Sorman raconte comment elle se découvre en allant à la rencontre de quelque chose qui est loin d’elle. Et en menant cette recherche sur elle-même, sur eux, elle se met en danger et révèle quelque chose qui est peu révélée (car il y a peu d’enquêtes consacrées au rap) : la beauté de ce langage qui s’invente au
présent. Aussi elle s’intéresse à des personnes que son milieu social pourrait considérer
comme inférieures. Elle va à l’encontre du racisme ordinaire, de la pensée “coloniale”,
pourrait-on dire. Et je ressens cette entrée comme très actuelle.
Mettre en scène “Du Bruit”
Mettre en scène “Du Bruit”, c’est aller à la rencontre d’une langue. Celle de Joy Sorman,
influencée, traversée, transpercée par le flow, le rythme, les mots de NTM. C’est chroniquer la vie de ce groupe hors pair. C’est considérer chaque chapitre du roman comme un morceau en soi dans un concert en live. C’est jouer le jeu du direct. Du présent. C’est revisiter l’art de la scène, l’art de faire présent. C’est s’autoriser encore une autre façon de dire.
Je mène depuis longtemps un travail sur la parole.
Comment on dit ?
Comment on peut – encore – prendre la parole ?
Comment une langue, une oralité créent un monde ?
Comment parler au corps ?
Mettre en scène “Du Bruit”, c’est créer un objet scénique aux croisements du théâtre, de la musique, du concert live.
Pour mener ce projet, je ferai appel à Carole Rieussec, musicienne, performeuse, électro acousticienne. Nous explorerons les relations poétiques et sensorielles entre le corps et le son. Il ne s’agira pas de composer une bande son, mais de voir comment le corps lui-
même produit du son. Le son qui accompagne la voix. Voir comment il s’organise pour aller chercher le souffle, les ruptures nécessaires à la prise de parole. Et quelle musicalité cela crée ?
S’inspirer du “mouvement hip hop” (danse, rap, tag), du mélange des influences du hip hop, de son multiculturalisme, pour faire sonner une langue. Une langue qui “transforment les mots” en nervosité sonore. Qui impulse. Qui nous extrait de l’asphyxie brune dans laquelle nous plonge la montée des extrêmes – ici et maintenant.
Faire “Du Bruit”, c’est créer un manifeste, un manuel, qui nous apprenne à dire NON. De
façon très actuelle. Avec ferveur.
Faire “Du Bruit” c’est créer une émeute sonore, un feu de joie et de décibels, qui nous
appelle à habiter nos corps et nos territoires.
Faire “Du Bruit”, c’est recouvrir celui des discours qui séparent, par le bruit des corps
antisexistes, antiracistes, et anti-classes qui arpenteront “le monde de demain”.
“Le hip hop est une puissance de vie. Le hip hop passe directement dans le sang de ceux
qui écoutent”.
Hélène Soulié