CARTOGRAMMES
Quelque chose en nous échappe au conjugable
Chemin d’erre en compagnie de Fernand Deligny
Conception : Hélène Soulié et Maia Fastinger
Mise en scène : Hélène Soulié
Avant première
13 novembre 2015
La chapelle – Hôpital François de Tosquelles
St Alban sur Limagnoles
Création 2016
16 et 17 juin 2016
Rencontres de la psychothérapie institutionnelle
Hôpital François de Tosquelles – St Alban sur Limagnoles
Ce que les cartes révèlent, à travers les nombreux tracés et le transcrit qui en est fait, là où l’enchevêtrement des « lignes d’erre » et des trajets coutumiers constitue un « lieu-chevêtre », c’est l’existence d’un « corps commun ».
Gisèle Durand Ruiz à propos de F. Deligny
CREDIT PHOTO : Maia Fastinger
En partant des interrogations présentes et récurrentes dans le travail qu’elles mènent au sein de la compagnie EXIT, telles que celles liées à la norme, aux dictats de pensées, mais aussi à ce que l’on nomme « folie », ou encore à la prise de parole, intime et publique, et à sa corporalité dans un espace donné et délimité, Hélène Soulié et Maïa Fastinger ont mené avec les patients et soignants de l’hôpital François de Tosquelles de St Alban un travail vidéo et scénique à partir des « chemins d’erre » de Fernand Deligny.
Sortir d’abord, se mettre en marche ensemble, et suivre le trajet du quotidien de l’un, puis de l’autre… Et pendant la marche, raconter quel est ce trajet, ce parcours. Enregistrer alors la voix, capter le mouvement des mots dans celui de la marche. Inviter ensuite ceux qui marchent à montrer ce qu’ils aiment voir, là ou ils aiment poser leur regard. S’arrêter pour regarder ensemble. Créer une image. Et filmer. Se filmer à l’intérieur de l’image. Perdre du temps. Pour constituer une belle image. Une image de nous. Continuer à marcher-parler.
De retour dans la chapelle, poursuivre le mouvement impulsé à l’extérieur, et dessiner, pas à pas, le trajet effectué. D’un trait, puis avec son corps, puis avec des lignes qui emplissent le plateau, et parfois un mot qui échappe, on trace la cartographie commune et quotidienne de nos promenades matinales.
Ce que les cartes révèlent, à travers les nombreux tracés et le transcrit qui en est fait, là où l’enchevêtrement des « lignes d’erre » et des trajets coutumiers constitue un « lieu-chevêtre », c’est l’existence d’un « corps commun ».¹
Ensemble, nous avons pris le maquis, et en avons tracé les Cartogrammes.
Hélène Soulié & Maia Fastinger
DISTRIBUTION
Conception :
Hélène Soulié
et Maia Fastinger
Mise en scène :
Hélène Soulié
Vidéo :
Maia Fastinger
Avec les patients et les soignants de l’hôpital de François de Tosquelles de St Alban sur Limagnole (48)
Contexte
Le 19 juin 1991, Jacques Chirac, alors président du RPR et maire de Paris, fait un discours qui porte sur le recadrage de la politique d’immigration française.
Il le termine par “si vous ajoutez à ça le bruit et l’odeur…”.
Le bruit et l’odeur en question désignaient les désagréments supposément causés par certaines personnes immigrées en France…
L’expression – célèbre pour sa conception raciste – marque un tournant dans la vie politique française : la droite utilise le thème de l’immigration jusque-là chasse gardée de l’extrême droite. C’est “l’intégration” du FN dans la vie politique.
Gaël Faye aujourd’hui, Kery James (Lettre à la république) en 2012, Zebda (album Le bruit et l’odeur) en 1993, de tous temps, les rappeurs dénoncent le racisme, alors que des hommes politiques parlent d’eux comme de barbares descendus sur la ville, de “zoulous” – on entend ici l’horrible résonance colonialiste. On assigne le rap aux banlieues, alors que c’est toute une génération qui se l’approprie, qui se reconnaît dans son flow.
En 1995, NTM – alors meilleur groupe de rap français – dénonce “ceux dérangés par les
odeurs et les bruits” (Plus jamais ça).
Le groupe donne en 1991 un concert mythique à Mantes-la-Jolie. Une association de
quartier l’a invité à jouer ; mais la municipalité est contre. Arrivés au gymnase où ils doivent se produire, Kool Shen et Joeystarr sont à la porte, le gymnase est fermé à clef, la porte blindée. Aucun responsable sur place. Seulement deux cars de police en retrait. Les
spectateurs venus du 91, du 92, 93, 94, 95, 77, 78, affluent. Des centaines de lascars
encapuchonnés, et quelques filles aussi qui dépassent les idées attribuées à ce genre de rassemblement (trop d’embrouilles, c’est chaud !), pour être là. En être. Joeystarr et Kool
Shen s’installent finalement au milieu du stade de rugby qui jouxte le gymnase, et déballent leur matériel. Mais la nuit tombe et le stade ne s’éclaire pas. Personne pour allumer les lumières. Alors, dans un même élan, les fans poussent contre les grillages avec leurs bagnoles, ils roulent sur les grilles, forcent et font céder la clôture lentement. Ils se garent en demi-cercle autour de la scène improvisée et forment la rampe de lumière qui manquait. Le show démarre instantanément sur “le monde de demain”. Un feu de joie et de décibels. Les flics n’ont pas bougé. Ce qui se met en place ce soir-là restera gravé dans la mémoire de tous ceux qui ont vécu ce moment, et même de ceux qui ne l’ont pas vécu et à qui on racontera l’exploit, le dépassement, la transgression – la réponse à l’interdiction d’être là.
Du Bruit
Joy Sorman, autrice française contemporaine, revient dans “Du Bruit” sur cet évènement
marquant. Elle raconte les années 90, l’ampleur que prend le mouvement hip hop en France, telle une réponse à l’hostilité grandissante à l’égard des banlieues. Elle raconte la nécessité de ces gars “de banlieue” à exister. À exister en dehors des images de dealers que l’on projette sur eux. À exister de là où ils sont. A l’écoute de la rumeur des villes, du chant des villes. Leur détermination à être visibles : les tags 93NTM partout dans le métro, dans le RER, les battles de breakdance place du Trocadéro, et les premiers mots posés sur une boucle sonore.
Elle revient aussi sur les accusations d’incitation à la violence du groupe dès que celui-ci
parvient à se faire une place. Sur la difficulté d’accorder droit de cité au rap. On accuse NTM d’encourager la jeunesse à “foutre le feu”. “Johnny a le droit de l’allumer le feu, et les Doors de ” Light my fire ” aussi, mais pour les autres : ceinture. Les poètes d’un côté, les vandales de l’autre.” Le feu de NTM n’est pourtant pas celui qui appelle à brûler les banlieues, mais celui que l’on a aux joues. C’est le feu du désir. Et c’est ce feu là qui effraie, que l’on veut contenir, analyser. Mais le rap est une bête sauvage qui ne se laisse pas récupérer : “Je ne fais pas de politique, je fais du rap.” dira Joey Star.
Le rap, c’est “un son au lance-flamme”, un cri de guerre. Le porte voix d’une jeunesse le feu aux joues. Une jeunesse prête à égorger ses parents pour suivre NTM en concert ! Une jeunesse qui cherche un rythme, une intonation propre comme on cherche sa voix. Un terrain à habiter. Une jeunesse qui va trouver son corps et sa voix là, via l’invention d’une langue.
L’invention d’une langue
“NTM m’a appris à parler. A parler au reste du monde. Dans le rap il n’y a pas de
bégaiement, de balbutiement, d’hésitation, de lapsus et autres imperfections de langage. Le rap, c’est l’âge d’or de la parole. Le flow excède tous les discours, la langue de NTM est sourde aux opinions calibrées. Elle est irrécupérable.”
Joeystarr et Kool Shen ne veulent rien nous dire. Ils signalent. Ils signalent que leur position est radicale, que l’envie d’en découdre, que la rage, que la force sont décuplées. “Le rap, c’est l’élucidation, la mise au jour et l’activation de la puissance de la langue, le démontage du moteur, l’encéphalogramme des mots, le raffinage des mots par le corps.
Et peu importe que certains n’entendent pas. “Je n’entends rien ! – C’est normal je parle à ton corps.“
Le rap de NTM
J’aime le rap. La frontalité du rap. Les mots qui sont là comme le son pour réveiller, pour
nous réveiller. Je les préfère à ceux des histoires petites et tendres et cyniques posées sur
de douces mélodies – cette chape de plomb dont on ne sort pas ! Là où tout est prévisible,
rien n’inquiète. Le rap ne s’arrange pas avec le réel. Le rap fonce dans le tas, rentre “dans le lard de la mélodie”, la met au défi. J’aime l’énergie indomptable du rap, son inscription hors des sentiers battus, dans des expériences esthétiques brutes.
Aimer le rap, c’est aimer une époque. Aimer NTM, c’est être “amoureux de son temps et
furieux contre”.
Kool Shen et Joeystarr sont des chiffonniers de l’ère contemporaine.
Le rap est une écriture du réel. Une écriture du présent. Ce qui est dit importe moins que
comment c’est dit. On ne récite pas un texte, on ne prononce pas un discours, on est en
direct. On improvise au présent.
Le projet
Ce qui est saisissant dans le texte de Joy Sorman, c’est qu’il ne parle pas du rap au sens
stricte (ce qui déclencherait des stéréotypes, des clichés) mais d’un groupe – NTM –
approché par une jeune femme qui n’est pas du même milieu social que le groupe. Et cette rencontre va bouleverser sa vie (ses a priori aussi). Et du coup les nôtres. Elle écrit “qu’est-ce que la musique fait de nous ?”. Joy Sorman raconte comment elle se découvre en allant à la rencontre de quelque chose qui est loin d’elle. Et en menant cette recherche sur elle-même, sur eux, elle se met en danger et révèle quelque chose qui est peu révélée (car il y a peu d’enquêtes consacrées au rap) : la beauté de ce langage qui s’invente au
présent. Aussi elle s’intéresse à des personnes que son milieu social pourrait considérer
comme inférieures. Elle va à l’encontre du racisme ordinaire, de la pensée “coloniale”,
pourrait-on dire. Et je ressens cette entrée comme très actuelle.
Mettre en scène “Du Bruit”
Mettre en scène “Du Bruit”, c’est aller à la rencontre d’une langue. Celle de Joy Sorman,
influencée, traversée, transpercée par le flow, le rythme, les mots de NTM. C’est chroniquer la vie de ce groupe hors pair. C’est considérer chaque chapitre du roman comme un morceau en soi dans un concert en live. C’est jouer le jeu du direct. Du présent. C’est revisiter l’art de la scène, l’art de faire présent. C’est s’autoriser encore une autre façon de dire.
Je mène depuis longtemps un travail sur la parole.
Comment on dit ?
Comment on peut – encore – prendre la parole ?
Comment une langue, une oralité créent un monde ?
Comment parler au corps ?
Mettre en scène “Du Bruit”, c’est créer un objet scénique aux croisements du théâtre, de la musique, du concert live.
Pour mener ce projet, je ferai appel à Carole Rieussec, musicienne, performeuse, électro acousticienne. Nous explorerons les relations poétiques et sensorielles entre le corps et le son. Il ne s’agira pas de composer une bande son, mais de voir comment le corps lui-
même produit du son. Le son qui accompagne la voix. Voir comment il s’organise pour aller chercher le souffle, les ruptures nécessaires à la prise de parole. Et quelle musicalité cela crée ?
S’inspirer du “mouvement hip hop” (danse, rap, tag), du mélange des influences du hip hop, de son multiculturalisme, pour faire sonner une langue. Une langue qui “transforment les mots” en nervosité sonore. Qui impulse. Qui nous extrait de l’asphyxie brune dans laquelle nous plonge la montée des extrêmes – ici et maintenant.
Faire “Du Bruit”, c’est créer un manifeste, un manuel, qui nous apprenne à dire NON. De
façon très actuelle. Avec ferveur.
Faire “Du Bruit” c’est créer une émeute sonore, un feu de joie et de décibels, qui nous
appelle à habiter nos corps et nos territoires.
Faire “Du Bruit”, c’est recouvrir celui des discours qui séparent, par le bruit des corps
antisexistes, antiracistes, et anti-classes qui arpenteront “le monde de demain”.
“Le hip hop est une puissance de vie. Le hip hop passe directement dans le sang de ceux
qui écoutent”.
Hélène Soulié