5 SECONDES
Mise en scène Hélène Soulié
Texte Catherine Benhamou
Création janvier 2026
CREDIT PHOTO : © Julien Goldstein
“On dit que les bébés savent tout quand ils naissent et que dieu leur met le doigt sur la bouche pour qu’ils ne disent rien, on dit que c’est pour ça qu’ils ont une fossette juste ici, au-dessus de la bouche.”
Ce jour-là, au lieu de rester comme tous les jours enfermé dans sa chambre aux volets fermés, un jeune homme a eu envie de sortir, de marcher dans la ville, et pourquoi pas prendre le RER pour aller voir un peu de vert,peut-être un bout de forêt.
Simple réflexe de survie ou voyage sans retour d’un Poucet sans aucun caillou dans les poches ? L’histoire ne le dit pas.
À lui qui vit dans l’absence d’évènement depuis toujours, ce qui va arriver pendant son trajet en RER fera l’effet d’une secousse sismique. Mais de ce tremblement de terre, il n’y aura que deux lignes dans le journal.
Elle, quand on l’interrogera, dira qu’elle n’y arrivait pas et c’est tout.
Une drôle de rencontre entre deux êtres qui n’y arrivent pas sous le regard d’un enfant qui semble avoir tout compris.
Librement inspiré par un fait-divers qui s’est déroulé en région parisienne, ce texte interroge l’instinct maternel soit « la somme des préjugés intégrés dès l’enfance qui présentent la maternité désirée et radieuse comme la norme, une part non-négociable de l’identité féminine» (Camille Froidevaux-Metterie, Un corps à soi ). Il interroge également ce qu’il y a de vivant en nous, ce qui résiste à l’écrasement et à la peur.
Un monologue habité par des voix et des sons. D’abord la voix du narrateur qui lui-même est traversé par la voix de la femme du RER, qui elle-même est traversée par des sons qu’elle transforme en injonctions. Mais également les sons que le jeune homme fabrique sur son ordinateur à longueur de journées et de nuits, les paroles qu’il échange avec les différents personnages de l’histoire, et aussi les mots jamais prononcés qui surgiront au cours de cette nuit d’errance autour de la station du RER, permettant à la vie de circuler à nouveau.
La pièce (pour un acteur et une marionnette) est conçue pour être présentée en salle. Une version hors les murs permettra de la présenter en tous lieux.
DISTRIBUTION
Texte
Catherine Benhamou
Mise en scène
Hélène Soulié
Avec
Maxime Taffanel
Scénographie Emmanuelle Debeusscher & Hélène Soulié
Lumières Juliette Besançon
Costume Marie-Frédérique Fillon
Création son et dispositif sonore Jean-Christophe Sirven
Régie générale Marion Koechlin
PRODUCTION
Production
Cie EXIT
Coproduction et partenaires
Plateaux sauvages – Paris, Théâtre Public de Montreuil – CDN, Théâtre Jérôme Savary – Villeneuve les maguelone, Théâtre Jacques Coeur – Lattes, Théâtre d’Avon, Théâtre du Grand Quévilly.
Avec le soutien de
ARTCENA, DRAC Occitanie (au titre des compagnies conventionnées), Ville de Montpellier, Montpellier Méditerranée Métropole et, en cours…
TéLéCHARGEMENTS
“Sauvons l’imagination, l’imagination sauve le reste !”
Annie Lebrun
C’est assez rare qu’on ne puisse pas lâcher un texte des mains.
Les mots, le récit, se déroulent, et nous voilà pris, pris dans un souffle.
5 secondes, inspiré librement d’un fait divers survenu en région parisienne, raconte l’histoire d’un jeune homme qui passe une nuit avec un bébé, qu’une mère lui a confié avant de s’enfuir dans le RER.
C’est lui qui prend la parole. Pour l’enfant. Afin qu’un jour il sache.
Ces mots sont ceux d’un frère d’accident. Des mots qui tentent de réparer et permettent au sang de circuler.
“Je t’ai vu dans quelques années, quand tu devras écrire pour la fête des mères, un poème dans un cœur de coquillettes. (…) J’ai pensé qu’il fallait que je te dise ça avant que le mot abandon n’ait eu le temps de répandre son poison dans tes veines.
Il fallait que je te le dise, avant que tu te retrouves, assis à ta table d’écolier, à t’acharner
à coller les coquillettes, avec toutes tes larmes à retenir, maudissant la fête des mères, maudissant l’école, le monde entier, et surtout ta mère, pensant c’est de sa faute
si j’ai une mauvaise note parce que je ne sais pas ce que je pourrais bien écrire au milieu de ce cœur dégueulasse plein de colle qui bave partout.”[1]
Dans la pièce, la parole, infiniment organique, advient par saccade, flow, hoquet.
Elle s’organise comme elle peut, s’enclenche par associations d’idées, tentant de tenir debout. Elle se situe au croisement de plusieurs lieux : celui de l’accident d’abord, où une mère abandonne son enfant ; mais aussi entre le quai du RER, le commissariat, la salle d’audience du tribunal, la chambre dans l’appartement familial, et la forêt hétérotopique.
La pièce traverse également les temporalités : les différents âges de la vie, les mémoires. Elle oscille constamment entre le réel et la fiction. Une fiction qui émerge pour combler les vides, les trous du réel, et les absences.
La pièce pourrait être vue comme une tragédie du langage, où d’un côté se trouve le langage des dominants, écrasant et aliénant, et de l’autre celui de ceux qui ne possèdent pas les “bons” mots. Elle met en lumière comment la pensée dominante enferme l’individu et fige les imaginaires. L’espace du procès, où le récit prend ancrage, devient ainsi le lieu emblématique de cette domination sociale par le langage. Ce n’est qu’en refusant de se soumettre à cette vision imposée par le langage dominant que s’ouvrent de nouvelles voies, celles de récits inédits et de possibles à réinventer.
La pièce est un road trip au cœur du verbe. Une pièce – paysage des mots. C’est à partir d’eux que tout s’esquisse. Un voyage dans les langues.
Le temps d’une nuit d’errance dans une ville de banlieue, et dans l’attente d’une mère qui reviendra trois jours plus tard au commissariat chercher son enfant qu’elle dira avoir “perdu”, un jeune homme s’adressant à un enfant, va s’affranchir des mots et des souffrances de son enfance, qui le condamnent à l’immobilisme. Avec beaucoup de délicatesse, il s’interrogera sur ce que l’on nomme l’instinct maternel, et ce que la justice, reflet de la société, attend des mères. Il s’interrogera aussi sur le rôle des pères et ce que la société leur accorde, simplement parce qu’ils sont hommes. Enfin, il abordera la difficulté de se construire en tant qu’homme aujourd’hui, dans un monde où les stéréotypes de virilité sont omniprésents.
C’est bien la construction de nos identités face aux normes sociales qui sera ici mise en question, tout en explorant ce qui en nous résiste à ces attentes et à la peur de ne pas y correspondre.
5 secondes est aussi une pièce sur la jeunesse, une jeunesse vagabonde et décalée, déterminée à s’arracher un droit à respirer. À conspirer, dirait Marielle Macé.[2]
Comme dans les contes, 5 secondes utilise une langue simple, fluide et dessinée, qui guide notre regard à travers le récit. La forêt, symbolisant à la fois le lieu d’égarement, de danger, mais aussi de transformation et de résilience, devient le cadre dans lequel le personnage, malgré lui, se transforme en héros. Son parcours, que l’on pourrait qualifier d’initiatique, se construit autour d’un abandon, d’une errance et d’un contexte socio-économique et familial délétère. Le récit s’organise autour de “seuils” que le personnage traverse, avec des répétitions qui évoquent une boucle mémorielle. Ces éléments rappellent certains contes classiques tels que Hansel et Gretel ou Le Petit Poucet, où l’errance et la quête de survie se mêlent à la recherche de sens et de transformation.
“Il était une fois un garçon pas plus grand qu’un pouce qu’on appelait Poucet. Il était maigre et bien trop petit. Il n’était pas comme tout le monde, alors ils (ses parents) l’ont emmené dans la forêt.”[3]
À la lecture du texte, la vision de Maxime Taffanel prenant en charge cette parole est immédiatement apparue. Maxime est un acteur lumineux, intuitif, organique et sensible, avec qui je partage le plaisir d’aller à la rencontre d’une langue, de creuser l’espace de rencontre entre le texte et nous, pour voir où il nous mène et comment il nous transforme. Ensemble, nous jouerons avec la langue pour en explorer les polarités contradictoires : émancipation et travestissement, asservissement et puissance.
Nous examinerons tout ce qu’elle génère sur le corps, comme dérapage, tension, élan, et tout ce que le corps, dans son mouvement, génère sur elle. Nous explorerons les relations poétiques et sensorielles entre le corps et le son des mots. Nous performerons la langue afin d’inventer, à l’image du jeune homme qui prend la parole dans le texte, une nouvelle manière d’être au monde, une nouvelle façon de respirer, de nous mouvoir et de nous animer.
Scénographiquement, ce qui m’intéresse c’est de créer les conditions permettant à l’acteur de performer le langage. Je souhaite qu’il fasse littéralement l’expérience “d’être un respirant”[4], quitte à parler, courir, penser, espérer au-dessus de ses moyens pneumatiques ! Pour moi, organiquement, 5 secondes, est une histoire de souffle. Le souffle antique se disait en ces termes : animus, anima – animer, réanimer.
Le mot “réanimation” dans le monde médical est apparu au même moment que la catégorie “cinéma d’animation”. Ce n’était pas simplement un cinéma qui faisait bouger l’image, comme les “dessins animés”, mais un cinéma capable de redonner vie à l’inerte, de réanimer littéralement des petites choses mortes.
Dans la pièce, c’est l’obligation de prendre la parole qui pousse le personnage à chercher le souffle, à se lier à l’autre, à conspirer et à insuffler, par ses mots, un air nouveau et respirable dans l’atmosphère.
Je souhaite également établir une relation très physique et sensible avec le public, un échange direct et palpable, centré sur l’expérience partagée.
Aussi, je fais le choix de l’épure.
J’envisage le plateau comme une plaque de mémoire, un intermonde, une page vierge, un carré blanc au sol peut-être, duquel surgiront les figures du passé, les fantômes.
Je vois un homme, sur le départ, un grand sac noir sur l’épaule, puis marchant – sur place.
Dans une forêt d’abord, qui se dissipe progressivement, laissant place aux lumières de la ville. Je le vois comme pris dans un long plan séquence cinématographique. Sur lui et le sol, les lumières de la ville défilent. L’homme revisite une histoire. Il s’adresse à un enfant-absent, presque comme s’il s’enregistrait pour lui laisser une trace de leur rencontre, comme s’il lui léguait une histoire. Si l’on a la sensation que l’homme avance, le récit, lui, n’est pas linéaire. Dans le réel, nos souvenirs ne reviennent pas de façon linéaire, mais sous la forme de clichés dont les négatifs sont extraits de notre mémoire. Ils reviennent au hasard. Aussi, et à l’image du fonctionnement de notre mémoire, le récit se cherche, et le personnage semble in fine perdu dans la ville.
Et puis, je vois cet homme ouvrir son sac, en sortir une marionnette d’enfant, l’enfant à qui il s’adressait, mais aussi son double-enfant, comme une protubérance de lui-même.
À moins qu’il soit lui-même un prolongement de cette marionnette ?
Qui est inerte ? qui est animé ? Qui est vivant ? La frontière entre l’acteur et la marionnette s’estompe : à certains moments, c’est la marionnette qui semble manipuler le jeune homme.
D’autres personnages émergent alors: ceux issus de la mémoire enfantine de l’homme.
Ils parlent au travers de l’acteur. Et produisent sur lui une transformation vocale, parfois physique. Ils inquiètent l’acteur en quelque sorte. Les mots de ces personnages exogènes sont perceptibles, mais les lèvres de l’acteur ne bougent pas, ou peu. Il les ventriloque. Il entre en dialogue avec ces voix.
Nous entrons alors dans ce que Kantor nommait la chambre de mémoire[5], c’est-à-dire une “chambre de l’imagination” vouée à révéler, comme dans la chambre noire de l’appareil photographique ou dans le cristallin de l’œil, la persistance des images mémorielles, au rythme de la “pulsation des clichés enfouis.”
Une chaise d’écolier peut-être apparaît, et quelques objets… Objets symboliques nous reliant dans le même temps au monde de l’enfance et à l’univers du conte.
Du grand sac noir des cartes postales surgissent (celles que le père envoyait au jeune homme quand il était petit). Elles se répandent sur le sol, incarnant l’absence — ce père qui ne reviendra jamais —, les traces que l’on s’efforce de préserver, les liens fragiles que l’on tente de retisser. Et dans le même temps, nous transportent vers l’ailleurs: d’autres horizons, d’autres contrées, et vers l’avenir. Ces cartes postales se situent exactement au croisement du passé et du futur. Sur ces cartes : des animaux sauvages. Eux aussi prennent vie sous nos yeux.
Dans cette seconde partie, les images, jusque-là plutôt statiques, se déploient dans un mouvement singulier : elles s’effacent, puis ressurgissent. Elles pulsent. Le rythme s’intensifie, scandé par cette pulsation des clichés. Une urgence presque vitale émerge, celle de comprendre, comme si l’on s’acharnait à résoudre une énigme.
Manipulant petit à petit sa propre histoire, agissant dessus, le personnage avance, seuil par seuil, cliché par cliché. Progressivement, il trouve l’issue et règle ses comptes avec tous les spectres qui avaient pris possession de sa vie. À travers ce processus, il se réanime, respire, et bascule résolument vers l’avenir.
D’un point de vue sonore, j’aimerai travailler l’idée d’un design sonore comme mémoire sonore vive du jeune homme. La mémoire, selon moi, fonctionne par superposition de clichés. En juxtaposant un cliché du passé avec celui du présent, on génère un troisième cliché, lié à l’avenir. C’est cette interaction entre passé et présent qui donne forme à l’avenir. Le personnage de la pièce, qui affirme « faire du son » pour des soirées électro, m’amène à aller puiser dans l’histoire de la musique électronique, notamment à travers des morceaux marquants de la scène de Detroit (comme ceux de Jeff Mills, Underground Resistance, Manuel Göttsching, etc.). Je voudrai d’abord explorer une palette sonore représentative des dernières décennies de musique électronique, avant de tenter de la réinventer. L’idée serait de la remixer, de la mettre en tension avec des “tubes” classiques, comme des fugues de Bach, produire des glissements, des accélérations, des distorsions sonores … Ces expérimentations seront menées en collaboration avec le compositeur Jean-Christophe Sirven, qui, dans ses compositions, utilise une variété d’instruments, du piano aux claviers électroniques, en passant par la guitare et les percussions.
Ce qui me passionne dans chaque projet, c’est la possibilité de réinventer de nouveaux rapports au texte, à la langue, à la parole, à la narration, de nouvelles manières d’écrire pour la scène. Chaque texte porte en lui-même son sous-texte. C’est aussi celui-là qu’il s’agit de rendre intelligible.
Avec 5 secondes, je poursuivrai mon travail sur le réel et la fiction, en ancrant la pièce dans une histoire vraie, où l’acteur, sans distance entre lui et son personnage, incarnera une réalité vécue. Au-delà de cette réalité-fictionnalisée, j’interrogerai le lien entre fantasmes et réalité, cherchant à déplacer notre perception du monde réel.
5 secondes sera un théâtre de mémoire et de visions, où l’effondrement et la reconstruction se côtoient. Un théâtre qui plonge le public en état d’hypnose, réveillant des présences évanouies à la frontière du visible et de l’invisible. Une expérience collective de réenchantement de nos imaginaires.
Hélène Soulié
[1] [3] 5 secondes – Catherine Benhamou, Éditions des femmes Antoinette Fouque.
[2] Respire – Marielle Macé, Verdier, 2024.
[4] La ville est un trou – Charles Pennequin, POL, 2007.
[5] « U fotografii z Tadeuszem Kantorem – Tadeusz Kantor on photography», interview par A. Matynia, inProjekt, Kantor, Tadeusz, 1987, Varsovie, 3, p. 20.